NOUVELLE RÉDACTION DEPUIS 2019
Depuis la réforme de fin 2019 de la Cour de cassation, la rédaction des arrêts diffère. L’enjeu de cette réforme reposait principalement sur la compréhension du lecteur. Pour ce faire la décision devait mettre davantage en évidence la progression du raisonnement afin de comprendre la solution retenue. Il est alors évident que le nouveau style de rédaction des arrêts de la Cour de cassation permet à tout lecteur de saisir directement non seulement le sens de l’arrêt mais aussi sa portée.
Certes, la compréhension des arrêts de la Cour de cassation est plus accessible à tout lecteur, mais bon nombre de jurisprudences antérieures à la réforme de 2019 doive être connue par tout juriste. En d’autres termes, il est primordial que tout juriste sache non seulement lire et comprendre un arrêt antérieur mais aussi postérieur à la réforme de 2019.

CONSTRUCTION D’UN ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
* Première étape : Faits et procédure
Exemple de rédaction avant la réforme : Cass. Soc., 9 mai 2001, n° 98-46.158
LA COUR : Sur le moyen unique :
Vu l’article L. 121-1 du Code du travail ;
Attendu que l’existence d’une relation de travail salarié dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle ;
Attendu que, selon l’arrêt attaqué, M. X... Y... est entré le 16 janvier 1995 en qualité de compagnon dans la communauté Emmaüs de Pointe-Rouge ; que le 28 août 1995, il en a été exclu ; qu’estimant avoir été salarié de l’association, il a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de remise d’un certificat de travail, d’une attestation ASSEDIC et de bulletins de paye ;
Exemple de rédaction après la réforme : Cass. Soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2018), Mme X... a été engagée à compter du 1er juillet 2010 en qualité de chef de projet export par la société Petit Bateau. Par lettre du 15 mai 2014, elle a été licenciée pour faute grave, notamment pour avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 présentée exclusivement aux commerciaux de la société.
2. Contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes.
[...]

Pour comprendre la distinction entre les faits et la procédure, on utilise généralement l’image du procès. Concrètement tout ce qui se passe avant d'entrer dans la salle d'audience s’apparente aux faits. Autrement dit dès que l’on met les pieds dans le tribunal de grande instance, la cour d’appel ou la Cour de cassation, on est dans la procédure (cf. Comment comprendre la hiérarchie des juridictions [à venir]). Tout ce qui se passe avant cette « entrée » s’apparente aux faits.
* Deuxième étape : Moyen(s)
Exemple de rédaction avant la réforme : Cass. Soc., 9 mai 2001, n° 98-46.158
Attendu que, pour faire droit à cette demande, la cour
d’appel a énoncé que M. X... était lié à l’association par un contrat de travail du fait qu’il effectuait une prestation de travail consistant en la récupération et la réparation d’objets mobiliers et recevait une rémunération constituée d’avantages en nature et d’une allocation hebdomadaire, qu’il existait un lien de subordination puisqu’il recevait des instructions et des directives quant aux lieux de récupération des objets et que les responsables pouvaient sanctionner l’exécution de la prestation de travail ;
Exemple de rédaction après la réforme : Cass. Soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l’arrêt de dire le licenciement fondé sur une faute grave et de la débouter de ses demandes au titre de la rupture du contrat, alors :
« 1°/ que l’employeur ne peut accéder aux informations extraites d’un compte Facebook de l’un de ses salariés sans y avoir été autorisé ; qu’il s’ensuit que la preuve des faits invoqués contre un salarié dans une procédure disciplinaire issue de publications figurant sur son compte Facebook privé, rapportée par l’intermédiaire d’un autre salarié de l’entreprise autorisé à y accéder, est irrecevable ; que dans ses conclusions d’appel, la salariée soutenait que la preuve des faits reprochés n’était pas opposable, ces derniers se rapportant à un compte Facebook privé, non accessible à tout public mais uniquement aux personnes que cette dernière avait accepté de voir rejoindre son réseau ; qu’en se bornant à retenir que l’employeur n’avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à la vie privée, ayant été informé de la diffusion de la photographie litigieuse sur le compte Facebook de la salariée par un des « amis » de la salariée travaillant au sein de la société, sans s’expliquer sur le caractère inopposable, et donc irrecevable, de la preuve invoquée, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 9 et 1353 du code civil, ensemble l’article 9 du code de procédure civile ;
2°/ que l’employeur ne peut porter une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée du salarié ; qu’il s’ensuit qu’il ne peut s’immiscer abusivement dans les publications du salarié sur les réseaux sociaux ; qu’en décidant que l’employeur n’avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d’atteinte à la vie privée quand elle se référait, pour justifier la faute grave, à l’identité et aux activités professionnelles des amis de la salariée sur le réseau Facebook, telles que rapportées par l’employeur et dont il considérait qu’ils travaillaient chez des concurrents, la cour d’appel a violé l’article 9 du code civil. »

Le moyen est généralement définit comme les arguments dont se prévalent les parties devant une juridiciton. À savoir que dans une fiche de jurisprudence, les moyens seront identifiés comme les thèses en présence (cf. Méthodologie : faire une fiche de jurisprudence[à venir])
* Troisième étape : Solution
Exemple de rédaction avant la réforme : Cass. Soc., 9 mai 2001, n° 98-46.158
Attendu cependant, qu’en intégrant la communauté Emmaüs en qualité de compagnon, M. X... Y... s’est soumis aux règles de vie communautaire qui définissent un cadre d’accueil comprenant la participation à un travail destiné à l’insertion sociale des compagnons et qui est exclusive de tout lien de subordination ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, [...]
Exemple de rédaction après la réforme : Cass. Soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058
Réponse de la Cour
5. D’abord, si en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, la cour d’appel, qui a constaté que la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par un courriel
d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de Mme X..., a pu en déduire que ce procédé d’obtention de preuve n’était pas déloyal.
6. Ensuite, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
7. La production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée.
8. Cependant, la cour d’appel a constaté que, pour établir un grief de divulgation par la salariée d’une information confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes, l’employeur s’était borné à produire la photographie de la future collection de la société publiée par l’intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de ses « amis » travaillant dans le même secteur d’activité et qu’il n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour contrecarrer la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte.
9. En l’état de ces constatations, la cour d’appel a fait ressortir que cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.
10. Le moyen n’est donc pas fondé. […] PAR CES MOTIFS, la Cour : REJETTE le pourvoi ;
Pour comprendre une solution de la Cour de cassation, il faut savoir que le rôle de la Cour n’est pas de statuer sur les faits mais de vérifier si les règles de droit (loi, convention, article, …) ont bien été appliquées par les juridictions antérieures, notamment par la cour d’appel. Ainsi la Cour de cassation ne juge pas sur le fond, seulement la juridiction de premier degré et la cour d’appel statuent sur le fond. La Cour de cassation statue donc sur la forme.
Il existe trois types d’arrêt de la Cour de cassation :
- Arrêt de rejet
- Arrêt de cassation
- Arrêt de cassation partielle
Concernant l’arrêt de rejet , la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le demandeur. Concrètement ce type d’arrêt est illustré par la formule suivante : « PAR CES MOTIFS, la COUR : REJETTE le pourvoi ». Ici la Cour de cassation considère que la cour d’appel a légalement justifié sa décision. Cette dernière a donc correctement appliqué les dispositions. Tel est le cas dans l’arrêt étudié du 30 septembre 2020, n°19-12.058.
Concernant le deuxième type d’arrêt, pour savoir s’il s’agit bien d’un arrêt de cassation, il suffit de retrouver la formule suivante : « PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, en toutes ces dispositions ». Contrairement à l’arrêt de rejet, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a fait une mauvaise application de la règle de droit. Ainsi elle n’a pas légalement justifié sa décision. Par conséquent la Cour de cassation renvoie l’affaire devant une autre cour d’appel, ou bien elle statue directement elle-même afin d'éviter un engorgement.
Toutefois la formule citée au dessus n’est pas la seule permettant d’identifier un arrêt de cassation. Effectivement la formule « Vu le(s) article(s) ... » s’apparente soit à un arrêt de cassation ou un arrêt de cassation partielle. Traditionnellement le visa se trouve avant les faits de l’arrêt, tel est le cas dans l’arrêt de 2001 étudié ici. Concrètement le visa fait référence à la ou les règle(s) de droit sur laquelle ou lesquelles la Cour de cassation va statuer.
Finalement concernant l’arrêt de cassation partielle, il ressemble à l’arrêt de cassation. Toutefois un point les distingue, notamment par la formule suivante : « CASSE ET ANNULE, mais seulement ». Effectivement comme son nom l’indique dans un arrêt de cassation partielle, la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel. Autrement dit la Cour va donc casser et annuler la décision de la cour d’appel où elle a mal appliqué la règle de droit, sans casser la partie où la règle a bien été appliquée.

Pour illustrer ces propos, prenons l’image d’une pomme à moitié pourrie. Il est évident que l’on va manger le côté de la pomme qui est beau, juteux, et comestible en laissant de côté le côté pourri. C’est la même chose pour un arrêt de cassation partielle. La Cour garde uniquement la bonne application de la règle de droit, mais « jette » la mauvaise application.
CONCLUSION DE LA CONSTRUCTION D’UN ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Quoiqu’il en soit même si la rédaction des arrêts de la Cour de cassation n’est plus la même depuis 2019, le contenu de ces derniers demeure le même. Effectivement on retrouve différents éléments qui construisent l’arrêt comme le visa, dans le cas échéant d’un arrêt de cassation, les faits, la procédure, les moyens et enfin la solution.
Pour aller plus loin : cf. Méthodologie : Comprendre la portée d’un arrêt [à venir]
Angèle Vambré
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